Le projet est né d’un constat simple : il n’existe à ce jour aucun inventaire exhaustif des journaux personnels de la Shoah. En travaillant sur ces sources dans nos domaines de spécialité respectifs — le siège nazi de Leningrad et la Shoah en Galicie orientale — nous avons découvert qu’à ce jour, il était impossible de mesurer vraiment l’ampleur de ce phénomène : combien de journaux ont été tenus ou du moins conservés ? Quand et par qui ont-ils été écrits ? Comment nous sont-ils parvenus ? Où se trouvent-ils ? Ces questions fondamentales restent en partie sans réponse.
Bien que les journaux personnels soient devenus, ces dernières décennies, des sources essentielles pour l’historiographie de la Shoah, ils ont rarement été étudiés comme un corpus à part entière, à quelques exceptions près. Ils n’ont par ailleurs presque jamais été analysés dans un cadre géographique, temporel et matériel étendu — sans doute en raison des nombreux obstacles linguistiques et techniques qu’un tel projet implique.
Pourtant, ces journaux comptent parmi les tout premiers témoignages de la Shoah et, à ce titre, méritent une attention scientifique soutenue. C’est pourquoi nous avons cofondé Holocaust Diaries Project (HDP) : afin de proposer une étude systématique de ces journaux. Par « journaux de la Shoah », nous entendons les journaux tenus par des personnes juives dans l’Allemagne nazie (1933–1945), en Europe occupée par les nazis ou sous le contrôle de régimes alliés du Troisième Reich, pendant les périodes de persécution et de génocide.
Objectifs
Notre projet repose sur quatre objectifs principaux :
1. Identifier les journaux de la Shoah en explorant divers centres d’archives, où ces documents sont souvent mal répertoriés.
2. Les inventorier, en centralisant pour la première fois les données relatives à ces journaux, à travers un croisement d’informations portant sur :
- Le ou la diariste (par exemple, ses données biographiques). Cette information est parfois très lacunaire, voire inexistante : l’identité de l’auteur ou de l’autrice n’est pas toujours connue.
- Le contenu du journal (l’expérience de la Shoah qu’il permet de documenter).
- La trajectoire du journal, de sa rédaction à sa conservation. Nous nous intéressons non seulement à sa production, mais aussi aux conditions de transmission, de conservation, d’archivage, ainsi qu’à son histoire éditoriale quand elle existe.
Un tel inventaire permettrait de :
- Centraliser ces sources dispersées dans de nombreux centres d’archives à travers le monde, souvent sous-exploitées, et de mettre en lumière des fonds méconnues.
- Évaluer le phénomène de la pratique diariste face à la catastrophe.
- Développer une sociologie des diaristes, ces individus qui ont ressenti la nécessité de se tourner vers l’écriture de soi alors que leur survie était en jeu.
3. Développer des outils conceptuels, méthodologiques, pédagogiques et numériques pour appréhender ces sources comme un corpus cohérent à part entière.
Deux outils majeurs sont en cours d’élaboration :
- Une base de données.
- Un système de cartographie qui permettra de visualiser les informations de la base sur une carte interactive. Il offrira un moyen de synthèse et d’organisation, facilitant le passage d’une analyse à l’échelle individuelle à une perspective macro-historique.
Ces outils seront mis à la disposition de la communauté académique internationale, des enseignants et des archivistes, pour leur permettre de localiser les journaux, d’accéder rapidement à des données fiables, et de mieux exploiter ces sources.
4. Analyser les journaux afin de documenter la Shoah à partir d’une multiplicité d’expériences individuelles, telles qu’elles furent vécues et écrites au jour le jour. L’ampleur inédite du corpus visé permettra de faire ressortir à la fois la diversité et la convergence de ces expériences.
Un projet au long cours
Le projet est conçu en plusieurs étapes afin de permettre sa mise en œuvre à grande échelle. Notre objectif est d’embrasser, à terme, l’ensemble des territoires occupés par les nazis et/ou leurs alliés, ce qui nécessitera plusieurs années de recherche.
Calendrier :
- Janvier 2023 : Première subvention obtenue à l’EHESS pour le développement du projet.
- 2023–2024 : Financement par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah (Sarah Gruszka) pour l’inventaire des journaux au Mémorial de la Shoah.
- Depuis 2023 : Organisation d’un séminaire de recherche et d’enseignement sur les pratiques diaristes en temps de violence de masse, en collaboration avec notre collègue Judith Lyon-Caen.
- Mars 2024 : Dépôt d’un projet ANR-DFG (partenariat franco-allemand entre l’IfZ – avec Andrea Löw et l’EHESS – Judith Lyon-Caen), intitulé H-DIARIES. Le financement a été obtenu pour une recherche de trois ans à compter de juin 2025.
- Septembre 2025 : Organisation à Caen d’un colloque sur les journaux civils des deux guerres mondiales, dans le but de constituer un réseau de chercheurs francophones travaillant sur ces sources.
- À venir : Lancement d’un réseau de recherche international, le Wartime Diaries Research Network.
- Perspectives : Nous comptons élargir encore le périmètre du projet, en intégrant davantage de centres d’archives, de pays, de langues, et donc de journaux personnels.
Ce projet est soutenu par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah